Poursuivant mon investigation sur le triangle de Karpman, qui pose à chacun de ses sommets un rôle de Victime, de Persécuteur et de Sauveur, j’ai voulu savoir s’il était possible d’effectuer un auto-diagnostic.
Voici donc quelques pistes de réflexions et des questions pour vous aider à vous situer sur ce triangle, si tel est votre destin.
Retour sur le triangle dramatique
Les trois jouent un jeu enfantin, évitant l’intimité et la prise de responsabilité. Ces joueurs professionnels possèdent deux caractéristiques : leur niveau d’énergie et la chaleur de leur émotion…
Le niveau d’énergie
La victime est basse en énergie, le persécuteur est haut et le sauveur se place entre les deux ; c’est pour cela que j’ai dessiné un triangle penché…
- La Victime est en manque d’énergie et aura tendance à rester passive, à répondre « je ne sais pas » aux questions qui la concernent ou à se plaindre de sa vie. Elle sera plutôt souffrante ou fatiguée ; son corps est en retrait.
- Le Persécuteur est en « trop plein » d’énergie, et aura tendance à être actif, à poser des questions, car « qui questionne dirige ». Son corps est plutôt tendu, penché en avant.
- Le Sauveur oscille entre les 2, il est en position basse avec la victime, en position haute avec le « responsable » des émotions de la Victime qu’il veut sauver.
Attention, la Victime, Persécuteur déguisé, manifeste souvent une colère froide à l’encontre de son Persécuteur qui ne s’occupe pas d’elle sans qu’elle ait à lui demander. Voici un dessin de la température de certaines zones du corps en fonction d’émotions plus ou moins reconnues (telle que la dépression, l’amour ou la honte). Comme vous pouvez le constater, la colère est plutôt chaude et la tristesse froide, bien qu’il existe une zone rouge dans le coeur, tout comme dans la peur.La Victime cache sa colère sous une apparente froideur. Ces jeux prennent souvent leur source dans l’enfance, dans la relation avec les parents ou dans une intrication systémique. Un enfant sera en rébellion contre son parent Persécuteur, en Sauveur de son parent Victime ou en Victime pour attirer un parent Sauveur.
Un jeu presque universel
Ce jeu se retrouve souvent en dynamique de groupe et sur les réseaux sociaux. Quand, par exemple, une Victime « émotionnée » se plaint sur un forum d’un de ses Persécuteurs, thérapeute ou « pervers narcissique » et si quelqu’un de « rationnel » lui propose d’exprimer une demande claire et personnelle, un Sauveur connecté viendra sûrement reprocher un manque d’empathie envers la Victime, voyant un Persécuteur sans-cœur, en faisant appel à sa « bonne conscience », à l’éthique, la morale ou la déontologie. Voici la dernière en date, vécue personnellement, suite à une de mes propositions à une internaute de clarifier sa demande. Le Sauveur m’a répondu…
« Dire à une personne victime qu’elle n’a qu’à formuler une demande pour sortir de son jeu ne répond pas à un besoin de discernement, de conscience, de tact, de délicatesse. »
Ces joueurs pensent que les émotions sont provoquées par autrui et ils n’osent pas communiquer et n’ont pas appris à demander clairement :
– Ils rendent autrui responsable de leur peur dans le cas du Sauveur, de leur tristesse dans le cas de la Victime ou de leur colère dans le cas du Persécuteur. Ils ont du mal à supporter leurs émotions et à exprimer une demande claire et posée.
– Le sauveur pense aussi être responsable des émotions d’autrui et a du mal à vivre aux côtés d’une Victime sans intervenir dans l’urgence. Il prend souvent sa place, ne lui demandant pas si elle veut être « sauvée » et en profite pour persécuter le Persécuteur, comme dans notre exemple. En réalité, il ne respecte aucun des deux.
Vivez-vous dangereusement au sommet d’un triangle ? Vous allez le découvrir en explorant vos traumatismes passés, vos croyances et la satisfaction de vos besoins actuels.
Comment réagissiez-vous aux événements passés ?
Avez-vous vécu contrainte et frustration ?
Il existe 2 types de traumatismes, la contrainte et la frustration :
- Dans la contrainte, vous êtes « obligé » de faire ce que vous n’avez pas envie de faire. La violence est souvent présente dans la contrainte surtout quand elle est physique, que vous soyez menacé, violenté, jeté en prison ou en pension sans votre accord. Le besoin manquant est un besoin de liberté ou de respect mutuel. Lors d’un événement naturel tel que explosion, accident ou tsunami, vous vivez aussi un événement que vous n’avez pas envie forcément de vivre.
- Dans la frustration, vous ne vivez pas un événement que vous aimeriez vivre. Vous voulez être riche et ne l’êtes pas, rester avec quelqu’un qui rompt la relation par volonté ou par accident, mortel ou non. Le besoin manquant est de faire le deuil et célébrer la vie, de légèreté ou de vivre une certaine sagesse.
Votre choix de réaction est beaucoup plus restreint dans le cas de la contrainte, surtout si vous êtes jeune et dépendant d’autrui, de vos parents ou d’une autorité morale ou physique, comme dans Sysiphe, qu’il faut imaginer heureux alors qu’il ne l’est pas.
Comment avez-vous réagi ? Passivement ou activement ?
Faites la différence entre ces 2 types de traumas et notez si votre comportement a changé avec l’âge ou la « maturité ».
- Sous la contrainte, vous pouvez être balloté entre rébellion et soumission. Dans le premier cas, vous faites preuve d’énergie, dans le deuxième, vous avez peur ou vous ne savez pas exprimer votre état et votre besoin.
- Dans la frustration, vous pouvez sagement faire le deuil de l’évènement que vous auriez voulu vivre au lieu de reprocher à votre « fournisseur » d’émotion de vous abandonner, de ne pas s’occuper de vous. Dans la dynamique de Victime, vous préférez rester en colère contre lui pour vous sentir innocent et « irresponsable » de vos émotions.
Les pensées les plus fréquentes associées à ces traumas sont « je ne peux pas le supporter », « je suis impuissant » ou « je ne peux pas être en paix ». Nous les associerons à des besoins.
Prenez le temps pour visualiser votre passé
Pour identifier votre dynamique, faites une ligne du temps et visualisez vos événements traumatisants, cicatrisés ou non, ou reprenez votre liste de traumas. Puis analysons-les en Contrainte et Frustration ; Vous pouvez mettre des niveaux de détresse pour vérifier si ces traumas sont cicatrisés… Voici la mienne :
- Naissance et séjour à l’hôpital (C).
- Mort de mon père à 5 ans (F).
- Internat militaire à 7 ans (C).
- 1ère période de chômage (F).
- Divorce (F)
- Séparation amoureuse (F)
- Autre séparation amoureuse (F)
- Projet de changement social inabouti (F)
Posons-nous maintenant quelques questions après avoir classé ces traumatismes. Les émotions qui durent ne sont pas primaires et orientées action. Comment avez-vous réagi au fait de ne pas avoir ce que vous voudriez vivre ? Voici quelques questions pour vous aider :
- Êtes-vous apaisé quand vous y pensez ?
- Avez-vous osé exprimer ce que vous viviez ?
- Avez-vous fait quelque chose ? Demandé de l’aide clairement ?
- Vous sentez-vous responsable de la manière dont vous avez réagi ?
Si vous avez répondu plusieurs « non » à ces 4 questions, il est probable que vous étiez dans une dynamique de victime ou de persécuteur, votre niveau d’énergie vous différenciant. Voici maintenant 3 questions pour identifier votre jeu. Quand vous y pensez :
- Quelle est votre émotion ? La victime est plutôt triste, cachant souvent dans une colère froide, une vengeance déguisée. Le Persécuteur est en colère, le Sauveur est dans une Compulsion d’aider.
- Quel est votre niveau d’énergie ? Haut ou bas ? Avez-vous vécu la rébellion ou la soumission ? La Victime est en énergie basse, le Persécuteur et le Sauveur en énergie haute.
- Quelle est votre pensée aujourd’hui ? Les trois ne peuvent supporter la situation. La Victime va se sentir impuissante, le Persécuteur ne pourra être en paix, tout comme le sauveur qui se sent obligé d’intervenir.
Si vous êtes Sauveur, vous pouvez tout vivre à la fois, en énergie basse en pensant à la Victime, en énergie haute en pensant au Persécuteur qui a fait tant de mal à la Victime. En réalité, vous avez peur de ne pas aller bien quand quelqu’un va mal, vous ne soignez pas votre besoin d’amour de soi, et vivez une compulsion d’aider autrui pour vous soulager.
Pour ma part, je réagissais à la contrainte par la rébellion, en colère contre ma mère qui m’avait mis en pension sans me demander mon avis. J’étais en énergie haute et n’étais pas en paix. Aujourd’hui, je suis toujours aussi chatouilleux sur le sujet. Il suffit de me donner une contrainte pour que mon envie disparaisse. Ce fut le cas avec la CNV. De savoir qu’il « fallait » suivre 50 jours de formation pour être instructeur m’a enlevé l’envie de suite. J’étais plus dans la dynamique de persécuteur, identifié à un persécuteur de mon système familial, la personne responsable de la mort de mon père.
A mes dernières frustrations, vivant une « nuit noire de l’âme », j’ai réagi en faisant des pauses, afin d’accepter de lâcher prise, de prendre conscience que j’étais dépendant de ce dont je n’avais pas besoin. J’ai célébré mon besoin d’apprendre.
Aujourd’hui, je suis apaisé, j’ose exprimer ce que je vis, je demande de l’aide et je me sens totalement responsable de la manière dont je réagis. La communication bienveillante m’aide beaucoup. J’espère être sorti de ces réactions en faisant des pauses quand je suis stimulé par des Joueurs psychologiques.
Quels sont vos besoins d’aujourd’hui ?
Célébrons nos besoins, satisfaits ou non, révélés lors de ces interactions.
Quels sont les besoins importants de cette dynamique ?
Les besoins diffèrent en fonction du type de traumatisme. Dans la contrainte, vous avez surtout besoin de respect mutuel, d’amour et d’autonomie. Dans la frustration, vous avez besoin d’être en paix, de vous centrer et de continuer à vous aimer, de célébrer la vie et de faire le deuil de ce que vous auriez voulu avoir même si vous ne vivez pas ce que vous aimeriez vivre, ce que certains appellent le lâcher prise. C’est ainsi que s’opère le changement, de prendre en compte la réalité au lieu de rester dans vos rêves ou vos illusions. Explorons ces 3 besoins : l’autonomie, l’amour de soi et la célébration de la vie.
Liberté et autonomie
Comment jugez-vous la satisfaction de vos besoins de liberté et d’autonomie ? Pensez-vous avoir votre liberté de choix ou vous sentez-vous impuissant dans votre vie ? Sur une échelle de 0 à 100 %, où placez-vous la satisfaction de votre besoin d’autonomie ? A 0, pas du tout autonome, à 100, autonome et libre de vos choix. Si vous ne vous sentez pas autonome, vous pouvez être dans une dynamique de Victime.
Ces besoins évoluent fortement et peuvent paraître contradictoires. L’appartenance est un besoin plutôt enfantin. Plus vous avancez dans la vie, plus vous êtes seul et heureux de vivre en votre compagnie. Plus vous vous aimez, moins vous avez besoin de vous sentir innocent en appartenant à une communauté dans laquelle vous aurez « bonne conscience » en respectant ses règles.
Sur une échelle de 0 à 100 %, où placez-vous la satisfaction de votre besoin d’amour de soi ? A 0, pas du tout en paix, à 100, centré et en paix avec la vie, la célébrant souvent. Si vous ne vous aimez pas du tout, vous pouvez être Sauveur, si vous ne pensez pas appartenir, vous pouvez être Victime.
Deuil et célébration
Pensez-vous être en paix avec votre passé ? Certains stimuli vous font-ils toujours réagir aujourd’hui ? Vous sentez-vous lié à des personnes en particulier ? Votre bonheur dépend-il d’autrui ? De votre conjoint ? De vos enfants ? Avez-vous du mal à vous sentir en vie quand des personnes vont mal à vos côtés ? Ce besoin est intimement lié à la frustration, à faire le deuil de ce que vous auriez voulu avoir et que vous n’avez pas.
Sur une échelle de 0 à 100 %, où placez-vous la satisfaction de votre besoin de célébrer la vie ? A 0, pas du tout en paix, à 100, centré et en paix avec la vie, la célébrant souvent.
Avez-vous changé ?
Enfant, nous n’avons pas toujours le choix de ce que nous vivons, dépendant d’autrui pour vivre. Adulte, c’est différent. Avez-vous évolué dans votre réaction à la contrainte et à la frustration ?
Une rosace de diagnostic
Voici une rosace de triangle, reprenant les besoins et les émotions vécues :
Les besoins de paix, d’autonomie et de célébrer la vie d’une personne « adulte » sont satisfaits, ceux d’un joueur professionnel ne le sont pas, pensant que la solution vient d’autrui.
Les sentiments d’une personne équilibrée émotionnellement sont la joie procurée par la satisfaction de ses besoins d’autonomie, de célébration et de faire le deuil, que la tristesse de la victime dépendante, de la colère du persécuteur qui n’est pas en paix ou de la peur du sauveur compulsif qui ne s’aime pas. De plus, les sentiments primaires ne durent pas, ceux des Joueurs psychologiques durent et se répètent régulièrement, comme dans un jeu…
Où vous situez-vous ?
Pour aller plus loin
Un petit livre de Christel Petitcollin qui vient de sortir chez Jouvence et que j’adore : Petit cahier d’exercices pour sortir du jeu : victime, bourreau, sauveur. Il vous montre les parades aux différents jeux.
Sur l’analyse transactionnelle et les jeux psychologiques :
Si vous avez des remarques, laissez-moi un commentaire.